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Le blog de Riku

Créations Diverses

Chapitre 7

Les Ames de l'Ocean, le déchainement des Profondeurs

 

 

CHAPITRE 7

 

Lorsqu’il entendit la porte d’entrée claquer, Sylvain se leva enfin de son lit. Depuis plusieurs années maintenant, il évitait ses parents le plus possible. La raison serait bien courte et facile à dire ; ils n’ont jamais compris leur fils.

Son premier réflexe fut d’appeler le vétérinaire. Hier, il y avait déposé –et surveillé plusieurs heures- un petit chaton atrocement agressé par des adolescents sans scrupules. Le vétérinaire avait accepté que Sylvain reste le temps des soins puis l’avait envoyé dans la salle d’attente avant de l’informer que tout irait bien. Etait-ce vrai ?

Une secrétaire décrocha à la seconde sonnerie. Sylvain demanda alors de but en blanc des nouvelles de son protégé.

_ D’après le Docteur Schwartz, ce petit s’en sort bien, affirma la dame dont le sourire était perceptible à l’autre bout du fil. Aucun organe n’a été touché. Le seul souci concerne une paralysie de naissance des deux pattes arrière.

Sylvain s’en serait douté. Mais c’était le moindre de ses soucis, du moment que l’animal n’était pas en danger de mort.

Il informa la secrétaire de son passage dans la matinée à la clinique avant de reposer le téléphone à sa place. Il se jeta ensuite sous la douche, puis s’habilla à la vitesse de l’éclair. En moins d’une demi-heure, il était déjà sur la selle de son vélo tout terrain pour rejoindre la clinique vétérinaire. Il ne pensa pas un seul instant à reprendre le bus, déboulant entre les piétons en pédalant furieusement.

Arrivé à destination, il posa son vélo contre la façade et passa les portes automatiques.

 

Les baleines à bosses poussaient des cliquètements de plus en plus impatients. Elles avaient suivi Drake vers les côtes et nageaient à la surface en attendant le retour de l’hybride. Ce dernier leur avait dit de ne pas approcher une nouvelle fois des hauts fonds, et était parti seul vers la plage afin de trouver l’humain que les mammifères voulaient rencontrer.

Drake était arrivé près de la plage principale, déserte en ce jour. Il se demanda d’ailleurs un instant pourquoi personne n’était là jusqu’à ce qu’il remarque un drapeau rouge flotter dans le vent. Il haussa un sourcil, guetta le ciel –aucun nuage. Le vent était léger. Rien de dangereux, donc.

Intrigué, il plongea à un angle proche des quatre-vingt-dix degrés, dévoilant un instant sa caudale à la surface. Une fois au fond, il dressa ses membranes auditives et écouta attentivement les environs. Il ignora les baleines à bosses qui se trouvaient à un kilomètre de là et repéra alors le bruit d’un lourd objet qui tombe à l’eau.

D’un rapide mouvement de queue, Drake s’approcha de l’endroit suspect et, de loin, repéra la coque métallique d’un bateau. L’objet qu’il avait entendu fracasser la surface de la mer était une sonde –sorte de boitier noir- dont le câble ondulait avec les courants froids de la haute mer. Il avança plus lentement, contourna la sonde et remonta à la surface de l’autre côté du bateau. Des bribes de voix lui parvinrent :

_ … … détectée un mouvement.

_ Un… …quin ?

_ Com… … veux que… sache ?!

Se collant à la coque, Drake prit le risque d’attraper la lourde chaîne de l’ancre qui tenait le bateau sur place et de s’y hisser à la force des bras. Il retint vivement une action de muscles de sa nageoire caudale lorsque celle-ci se retrouva entièrement à l’air libre.

L’ascension était éprouvante ; le poids de la queue de dauphin dépassait fortement celui de son demi corps humain, et il regretta sincèrement ne pas être dans une eau douce de rivière. Une part de son cerveau pesta aussi contre les algues qu’il avait ingurgité ces derniers temps par contrariété.

Les muscles des bras tremblotants, il arriva à l’interstice d’où sortait la chaîne de l’ancre. Il put donc observer le pont du bateau.

Horreur.

Son regard plongea dans l’œil vide d’un Grand Requin Blanc. L’un de ceux qui avaient attaqué Junior puis Thomas.

Drake resserra sa prise sur la lourde chaîne pour ne pas tomber et promena sa vision un peu plus loin. Un autre Grand Blanc gisait à côté du premier. Celui-ci remuait encore faiblement les branchies. Et lorsque l’œil gauche de l’animal remarqua Drake, il tortilla son puissant corps avec la hargne d’un condamné.

_ Hey ! Tues-le, bordel !

Les groupes d’humains se précipitaient vers l’énorme poisson pour le maintenir tranquille pendant qu’un homme visait sa tête du canon d’un fusil de chasse.

Drake grava alors dans sa tête la vision d’un œil qui, lentement, devient pâle et dont l’espoir de survie s’éteint. Le coup de feu retentit à l’instant même où l’hybride lâcha la chaîne pour retomber lourdement dans l’eau. A travers l’écume de mer qu’il avait ainsi créé, il remarqua les humains penchés par-dessus le bastingage à tenter de le trouver à l’œil nu.

Il s’éloigna avec la rage au ventre.

 

La montre affichait midi dix lorsque Sylvain traversa les portes automatiques de la clinique pour ressortir. Plus de quatre heures à l’intérieur, à jauger le chaton qu’il avait sauvé jouer avec difficultés en compagnie d’un autre chaton en convalescence.

Tout allait bien.

Sauf un détail.

Le vétérinaire ne pouvait pas garder d’animaux en pension et il fallait rapidement trouver une famille d’accueil pour le petit handicapé. Hors, rares étaient les gens à accepter de s’occuper d’un animal à mobilité réduite. Sylvain devait alors réfléchir à la question la plus importante de toute son existence : prendre le petit avec lui dès le lendemain ou accepter son euthanasie.

Il connaissait déjà la réponse de son cœur. Mais son esprit lui rappelait avec une douloureuse ironie que ses parents refusaient –ignoraient même- les animaux. Garder le chaton en douce dans sa chambre serait une alternative mais les bruits le trahiraient très vite. Sans compter qu’il n’avait pas les moyens financiers pour s’occuper du petit !

Il n’abandonnait pourtant pas l’idée d’adopter officiellement son protégé. Pendant qu’il pédalait le long de la route principale en pente douce, il réfléchissait à tous les points envisageables.

Sa roue glissa bientôt sur le sable lorsqu’il freina. Sylvain avait pédalé près d’une heure entière et se retrouvait désormais sur la plage déserte. Il était étonné de ne voir personne mais ne s’y attarda pas, tirant son vélo à côté de lui pour rejoindre une partie de la mer dissimulée par quelques rochers.

L’endroit de leur rencontre.

Il posa le vélo dans le sable et grimpa les petites roches pour s’asseoir à califourchon sur celui qui était le plus haut, à un mètre du sol. Comme il s’y attendait, la petite crique était vide. La jeune hybride n’était pas là. Le soleil se trouvait au-dessus de lui, le couvant de ses rayons de chaleur qui l’incitèrent rapidement à retirer sa veste.

Ainsi seul, ses cheveux ondulants avec le vent, Sylvain entama une musique sans ouvrir la bouche. La mélodie en elle-même était calme et triste, lente et douloureuse. Le bruit du clapotis de l’eau dans les rochers ajoutait une touche mystique à son imagination.

Quand il s’arrêta, les yeux rivés sur le large, il remarqua des souffles obliques d’eau au loin. Des baleines ? Ici ?

Puis une queue de dauphin apparut près de la plage. Elle frappa la surface de l’eau deux fois avant de disparaître. Sylvain se pencha en avant, les mains posées devant lui pour ne pas perdre l’équilibre, essayant de distinguer quelque chose sous la surface. Mais l’eau était bien trop trouble et la lumière du soleil se réverbérait entre les vaguelettes.

Un léger rire attira son attention à sa gauche. Là, dans le creux des roches, à demi-immergée, la jeune femme-dauphin lui souriait. Ses longs cheveux mouillés lui collaient à la peau et elle tenait son buste hors de l’eau à la force de ses bras, le ventre contre le sable.

Le cœur de Sylvain fit un bond : il ne s’attendait pas à la revoir. Il était soulagé qu’elle soit là. Même heureux de la voir. Il ne put donc empêcher un mince sourire étirer ses lèvres. Le premier sourire depuis…

Depuis qu’ils ont tué le chaton devant moi.

L’hybride leva l’une de ses oreilles en penchant la tête sur le côté. L’humain trouva cela mignon et réagit en déclarant simplement un pathétique :

_ Salut.

La jeune femme sourit un peu plus et leva une main palmée en répondant de vive voix :

_ Bonjour !

Heureusement que Sylvain se tenait bien sinon il serait tombé de surprise ! Il haussa un sourcil.

_ Tu as finalement décidé de me parler ?

Un moment silencieuse, le front plissé par souci, l’hybride finit par lâcher :

_ Normalement, nous n’avons pas le droit de parler aux humains.

_ Nous ?

_ Le Peuple des Mers, répondit la jeune femme avec le ton de l’évidence.

Bien-sûr, elle ne pouvait pas être seule. Cette pensée effraya légèrement Sylvain. L’Océan était si vaste ! Quels mystères y étaient cachés ? Rien que la découverte de la femme-dauphin pourrait enflammer scientifiques et médias ; des dissections, des exploitations, des recherches, des destructions…

_ Tu as l’air soucieux, aujourd’hui.

Sylvain se raidit un instant, se jura de ne jamais rien dévoiler au sujet de ce Peuple, que ce soit par écrit ou autrement. Il fixa sa vis-à-vis en soupirant.

_ C’est rien.

A nouveau souriante, insouciante, l’inconnue tendit la main vers le jeune homme.

_ Je m’appelle Horia. Et toi ?

Encore une fois surpris, Sylvain attrapa doucement la main tendue en se surprenant à apprécier la texture glissante des membranes de peau.

_ Sylvain.

Il observa leur poignée de main avant de l’arrêter en reprenant la parole :

_ Vous avez les mêmes manières que les humains ?

Horia secoua la tête, reposa sa main sous l’eau pour soutenir son buste et souleva sa nageoire caudale derrière elle.

_ En fait, non. Je voulais juste essayer ce que j’ai pu voir sur les plages.

Elle ajouta joyeusement :

_ Je serais bientôt en âge de remonter les eaux douces !

Le jeune humain fronça les sourcils.

_ Ce qui veut dire ?

Mais Horia ne répondit pas. Ses yeux clairs s’étaient recouverts de leur protection transparente. Elle regardait vers le large, les oreilles dressées, interdite.

Une queue de dauphin claqua la surface de l’eau avec hargne, vers la plage. Un long sifflement suivit, tellement fort qu’il traversa la surface de l’eau et parvint aux oreilles de Sylvain.

Les membranes de Horia frétillèrent avant de se replier. Sylvain l’observa du coin de l’œil avant de sursauter lorsqu’une tête sortit de l’eau à l’entrée de la crique.

_ Horia, tu rentres ! S’écria furieusement Drake.

_ Qu’est-ce qui se passe ?

Drake pointa un doigt accusateur vers Sylvain.

_ Voilà ce qui se passe.

Indifférent, Sylvain haussa à peine les épaules face à cette animosité. Horia, elle, glissa sur le fond sablonneux afin de se tourner entièrement vers Drake et de croiser les bras.

_ J’ignore ce que tu as encore pu te créer comme problèmes mais Sylvain, lui, est innocent. 

L’hybride mâle grogna furieusement en levant les yeux au ciel.

_ Parce qu’en plus, vous vous parlez.

_ On vient à peine de commencer ! Rétorqua Horia d’une voix aigüe.

Drake attrapa vivement le poignet de la jeune femme et la tira vers lui. Sylvain se redressa alors.

_ Lâches-la, dit-il calmement.

Horia le regarda d’un air désolé avant de plonger en direction du large. Drake, lui, leva un visage dur et froid vers l’humain dont les traits d’expression étaient similaires.

_ Ne reviens plus jamais, humain.

Ses paupières transparentes se mirent en place et il disparut à son tour sous les flots.

 

Drake rattrapa Horia dans les bas-fonds, là où les baleines attendaient. Il leur lança une série de cliquetis sonores avertissant d’un danger afin qu’elles s’en aillent, et intercepta sa vis-à-vis en se plaçant devant elle d’un bon coup de nageoire.

_ Laisses-moi ! Hurla-t-elle dans l’eau.

Il lui attrapa le poignet et la fixa dans les yeux.

_ Laisses-moi t’expliquer, Horia.

Horia retira son bras, en colère.

_ M’expliquer quoi ? Que tu es proche de l’Exil parce que tu as sauvé un humain des requins et que tout le monde veut maintenant le rencontrer ? Pas la peine, le Peuple est au courant.

Drake soupira. La jeune femme détourna la tête.

_ Tu ne veux pas que j’approche les humains. Mais Sylvain est différent.

_ Par pitié, petite sœur, laisses-moi en placer une.

Horia croisa les bras sur sa poitrine nue, retenant à grand peine la tristesse qu’avait occasionnée son départ face à Sylvain. Elle se tut afin que les larmes ne sortent pas.

_ Junior, l’humain que j’ai sauvé, m’a apporté des ennuis. C’est un fait. Il a gardé secret notre existence, ce qui fait un bon point pour lui. Mais nous sommes désormais tous en danger.

Horia arqua un sourcil.

_ Ton humain ne dira rien alors pourquoi serions-nous en danger ?

Drake grogna sous les premiers mots de cette phrase et reprit la parole :

_ Tout le monde veut voir Junior, dont les Carcharias. Et figures-toi que des humains sont en ce moment-même en train de tuer ces requins. Ils vont tous les décimer, si ces poissons ne décident pas de se défendre –ce qui risquerait d’arriver. Lorsque les humains auront fini ce massacre, ils vont remarquer les baleines à bosses qui n’ont rien à faire ici, si près des côtes, surtout à cette période de l’année. Autant dire qu’une foule de chercheurs va se pointer. Et, si ça se trouve, ces chercheurs ont eu vent de deux attaques de requins en une semaine et sont déjà en route.

Horia évalua toutes ces informations puis prit une petite voix :

_ Alors… tu veux qu’on se réfugie à la Maison jusqu’à nouvel ordre ?

Avec un léger soupir, Drake posa une main sur l’épaule de sa sœur.

_ Je sais que tu vas bientôt avoir l’âge d’explorer les eaux douces mais, pour l’instant, mieux vaut éviter les hauts fonds.

Horia baissa la tête et pensa à Sylvain, qui l’attendait peut-être à leur endroit.

Notre endroit…

_ Drake…

L’hybride mâle dressa une oreille. Horia releva un visage aux traits tirés par la tristesse.

_ Laisses-moi aller dire au revoir à Sylvain.

_ Tu ne…

_ S’il te plait, le coupa la jeune fille. Je suis sûre qu’il m’attend. Tu m’as arraché à la crique sans explications alors je dois y retourner.

Drake serra les dents.

_ Horia…

_ Je dois y retourner. Je n’y resterais pas longtemps, promis.

Venant des eaux sombres, Arcan le poisson Chirurgien Jaune approcha lentement. Drake se posa une main sur le visage avec amertume alors que Horia repartait vers la plage. Avec des bulles d’incompréhension, Arcan s’apprêta à la suivre mais l’hybride mâle plaça une main devant lui.

Remuant les nageoires pectorales d’irritation, Arcan changea d’angle de vision pour voir le visage de Drake. Il recula alors de surprise, ne laissa échapper qu’une unique bulle d’air.

Drake était abattu.

 

Le moteur de la Mégane était à peine allumé que la voiture s’éloigna dans un long crissement de pneus. Allongé sur son lit, sur le dos, Junior tenait son pendentif face à lui et en observait l’émeraude qui faisait office d’œil à la licorne gravée. Savoir que Thomas était parti pour la journée le soulageait. Ainsi, ses pensées étaient un peu plus libres et il pouvait enfin respirer normalement. Son esprit vogua vers la plage et il se rappela tous les détails que formaient ces derniers temps. Il ressentait un manque, comme si une part de lui était restée là-bas, dans l’eau.

Près de Drake.

Il referma son poing sur son pendentif et se redressa. Rien ne l’empêchait de retourner à la plage aujourd’hui. Maintenant qu’il avait quitté Thomas, il ne culpabiliserait plus de vouloir voir quelqu’un d’autre.

 

Thomas fonçait sur les routes en appuyant à peine sur le frein. Plus d’une fois, il accéléra face aux feux tricolores lorsqu’ils passaient à l’orange. Sa colère était tournée vers un seul endroit : la mer. Comment expliquer sur Junior ne voulait plus de lui ? C’était-il attaché aux requins ?

Il ricana sous cette question ridicule. Mais il y avait forcément quelque chose à la plage qui avait attiré son cousin pour y revenir après une frayeur. Et il était prêt à n’importe quoi pour savoir de quoi il s’agissait.

La jalousie était le facteur premier de sa démarche. Mais Thomas avait fait l’effroyable découverte d’un autre sentiment, de quelque chose de mauvais qui lui rongeait les entrailles : la possessivité. Au plus profond de lui, il voulait enfermer Junior dans une pièce, l’enchaîner à un mur avec la certitude qu’il n’appartiendrait à personne d’autre qu’à lui.

Cela l’effrayait.

Il stoppa son véhicule sur le parking de la plage. Le vide qui régnait ne l’interpella pas. Il se dirigea directement vers l’eau sans prendre la peine de regarder autour de lui. Pendant un moment, il observa le lointain avec détermination. La veille, Junior puait l’eau salée et le poisson. Cela voulait dire que ce qu’il cherchait était quelque part dans la mer.

Thomas retira veste et pantalon, gardant ses chaussures, son short et sa chemise, puis entra dans l’eau tempérée. Que les requins soient là ou non n’avait pas d’importance. Il avait déjà retiré le bandage qui cachait sa blessure autour de la jambe. La morsure brunâtre du Grand Blanc était profondément marquée dans sa peau blanche et suintait de sang à quelques endroits.

Il commença lentement à nager à la surface. Lorsqu’il arriva près des bas-fonds, il se stoppa pour regarder les alentours. Etait-ce ici que les requins avaient attaqué ? Il ne pouvait en être certain. Cela ne l’empêcha pas de cogner la surface de l’eau en hurlant :

_ Alors ?! Qu’est-ce qui attire Junior ici ? Ces saloperies de requins ?! Un foutu dauphin ?! Quoi ?!

Il criait en tournant sur lui-même, attendant un quelconque signe. Désespéré comme il était, même un aileron triangulaire ne l’aurait pas empêché de hurler.

_ Mon cousin a failli mourir ici ! Et pourtant, il est revenu ! Pourquoi, bordel ?!

 

Drake dressa une oreille. A côté de lui, Arcan ne remua plus une seule nageoire, attentif. Un danger ?

_ C’est pas vrai, grogna l’hybride avant de partir précipitamment vers les hauts fonds.

Le Chirurgien Jaune s’apprêta à le suivre lorsqu’il remarqua de grosses ombres sur sa droite qui se déplaçaient lentement, ventre contre le sable.

Drake s’arrêta juste en-dessous de Thomas qui s’agitait à la surface.

_ Quel imbécile. Qu’est-ce qu’il fout ?

Il savait que s’il arrivait quoique ce soit à ce type, Junior ne s’en remettrait pas. En temps normal, cela n’aurait aucune importance pour l’homme-dauphin. Sauf que Horia n’était pas loin.

Piètre excuse. Dis plutôt que Junior a pris une certaine place dans ta vie, Drake, pensa-t-il.

Il chassa cette pensée et tourna la tête vers les requins qui approchaient, pour l’instant près du sol. Quelque part, des humains sondaient l’eau pour les tuer. Hors, le Peuple de la Mer ne vivait pas pour voir les animaux mourir d’une telle façon.

Il se dirigea donc vers les Carcharias.

Quand ils le remarquèrent, ils ouvrirent tous leur gueule afin d’en montrer leurs rangées de dents triangulairement acérées.

Le ton était donné.

Drake recula vivement, sentit son cœur s’accélérer. Les choses commençaient à prendre un tournant décisif. La horde de Grands Blancs formait une ligne compacte, tous côte à côte, prêts à livrer une bataille sans merci. Ils avaient l’intention de s’attaquer à tous les humains qu’ils croiseraient…

Vengeance.

Pour sauver Thomas, Drake n’avait plus le choix : il devait se montrer.

 

Junior franchit les marches du bus pour poser le pied sur le trottoir couvert de sable. Il avança vers le parking réservé aux touristes, remarqua le vide que ne comblait qu’une seule voiture.

Sa voiture.

Quelque chose n’allait pas. Les mouettes elles-mêmes ne dissipaient pas le silence trop flagrant du manque de vacanciers. L’angoisse était palpable. Il régnait même une atmosphère suffocante.

Sans savoir pourquoi, le jeune homme foula le sable en courant, enjambant un petit pont décoratif en bois qui servait d’allée principale entre le parking et la plage. Arrivé face à la mer, il jeta à peine un coup d’œil aux vêtements de Thomas qu’il jaugeait déjà la silhouette de son cousin à l’horizon.

_ Thomas !

 

Thomas s’était tourné vers la plage et lorgnait avec surprise la personne qui lui faisait de grands signes.

_ Junior ? Murmura-t-il.

Derrière lui, Drake sortit la tête de l’eau. Lui aussi avait remarqué Junior. Disons même qu’il l’avait entendu.

_ Dépêches-toi de sortir de l’eau, Thomas, prononça alors l’hybride.

Thomas se retourna vivement en éclaboussant les alentours et fixa la créature face à lui. Après la surprise, une nouvelle détermination s’insinua en lui, celle qui lui rappela pourquoi il était venu ici. Et même les membranes auditives de Drake n’allaient pas l’arrêter.

_ C’est toi, hein ? C’est toi que Junior vient voir.

L’hybride fronça les sourcils, plissa le nez et grogna d’impatience. La situation exigeait l’urgence et le ton de jalousie employé par l’humain ne devait en aucun cas les retarder !

_ Sors de l’eau tout de suite !

Une série de cliquetis traversa la surface de l’eau. Un groupe d’une quinzaine de Tursiops Truncatus fendit les flots à vive allure, extirpant à peine leur souffle de leur évent. L’un des dauphins présenta sa dorsale devant Thomas qui s’en effraya. Drake soupira d’exaspération face à l’audace de sa sœur –c’était elle qui les avait appelé.

_ Attrapes cette nageoire et va-t’en de là !

Mais Thomas ne l’entendait pas de cette oreille.

_ Pourquoi devrais-je abandonner maintenant ?

C’est à cet instant que les ailerons triangulaires apparurent à la surface, glissant silencieusement, filant comme des fusées, tous orientés droit sur l’humain.

_ Tu veux une autre explication ? Ironisa Drake.

Les dauphins s’agitaient autour de Thomas et de Drake. Celui qui attendait que le jeune homme s’accroche à lui souffla nerveusement par son évent et leva la tête pour pousser des plaintes sonores.

Thomas attrapa la nageoire dorsale de ses doigts à la peau fripée. Le cétacé n’attendit pas plus longtemps pour déguerpir vers la terre ferme, accompagné par le reste du groupe. Pendant un court instant, le regard de l’humain resta en contact avec celui de l’hybride. Puis l’eau devint un rempart écumeux entre eux.

 

Horia passa sa main dans celle de Drake en remontant à la surface.

_ Il faut qu’on parte, Drake.

L’hybride mâle fixait Junior qui s’impatientait à plusieurs mètres de là. Horia n’était pas dupe et ressentait certainement autant de peine que son frère. Mais ils ne pouvaient pas rester là à se morfondre. Tout était en train de changer et ils devaient absolument rejoindre le Peuple.

Les requins poursuivaient Thomas avec acharnement, bien que les dauphins étaient plus rapides et le sauveraient certainement à temps.

Drake serra ses doigts autour de la main de Horia et tourna la tête vers elle. Son regard était fermé à toute émotion.

_ Partons.

Et il plongea en lâchant sa sœur.

Celle-ci jeta un œil vers la plage, observa Thomas arrivé sain et sauf devant Junior. Les requins avaient disparu, les dauphins s’éloignaient. Le bateau de pêche, lui, s’approchait…

Là-bas, près des rochers de droite, Sylvain guettait le groupe de cétacés qui déguerpissait. Son visage n’était pas tourné vers elle.

Horia plongea, laissa sa caudale percer la surface, et rejoignit Drake qui s’éloignait vers les eaux sombres.

 

Arcan était le seul encore dans les parages. Plutôt que de suivre Drake et Horia, il décida de se rapprocher des hauts fonds. Se retrouvant ainsi happé par le courant, il put sortir son petit museau de l’eau au bord de la plage.

Thomas soufflait encore de frayeur alors que Junior avait un air pensif. Pourquoi étaient-ils encore là ? Drake avait assez de problèmes sur les bras.

Mais Arcan n’était pas en colère. Il n’était pas non plus soulagé. Pour être franc, il pensait sérieusement que le plus jeune des deux humains –Junior- méritait autre chose que l’absence de Drake. Il aurait même droit à des explications formelles.

Seulement, comment un poisson pouvait-il se faire comprendre d’un humain ?

Arcan prit de l’élan et sauta. Il n’avait cependant pas la taille d’un dauphin et le bruit de l’eau qui se jetait sur le sable noya son petit plongeon quand il retomba contre la surface.

Merde.

C’est là qu’il regrettait n’être qu’un ridicule petit poisson de mer. Même naître sous les écailles d’un Espadon lui aurait mieux convenu !

Il sauta une nouvelle fois hors de l’eau. Coup du sort, son corps se retourna et, ventre vers le ciel, il percuta une petite vague –énorme à ses yeux !- et s’égratigna les écailles contre le sable. Quand il chercha à se redresser, il comprit qu’il n’était plus dans l’eau.

Au secours !

Il s’aida de sa queue pour faire de petits bonds mais il ne réussit qu’à faire un ridicule tour sur lui-même. L’oxygène commençait à lui manquer et il ouvrit grand la bouche en remuant les branchies.

Une énorme ombre s’installa au-dessus de lui. Enorme frayeur ! Il s’épuisa par d’autres bonds, sentit une texture molle sous son corps et, enfin, rencontra l’eau salée.

Junior s’était accroupit dans la mer et ne lâchait pas le poisson qui reprenait son souffle.

_ Arcan, c’est bien ça ? Dit alors l’humain.

Le Chirurgien Jaune remua la nageoire. Junior le tenait de telle sorte que son corps soit à demi dans l’eau pour lui permettre de respirer.

_ J’imagine que Drake a encore ses… ennuis.

Nouveau mouvement de nageoire.

Un instant, Junior garda le silence. A côté de lui se pencha Thomas.

_ Tu parles à un poisson, maintenant ?

Mais Junior le dissuada de parler en lui donnant un coup de coude.

_ Arcan, reprit-il. Les requins font partie de ses ennuis, pas vrai ? Ils étaient si synchronisés !

Le Chirurgien Jaune souffla une panoplie de bulles qui éclatèrent à la surface. Un autre silence se fit avant qu’une voix n’interpelle les deux garçons.

_ Hey ! N’allez pas dans l’eau aujourd’hui, okay ? C’est dangereux !

Junior fixa l’homme qui s’adressait à eux depuis un bateau. Il était entouré de matelots semblant très occupés. Pourquoi étaient-ils là si c’était dangereux ?

Il prit un air faussement innocent et s’adressa à l’homme en criant presque :

_ Pourquoi vous êtes là si c’est dangereux, m’sieur ?

_ Les récentes attaques de requins ne sont un secret pour personne. On essaie de les attraper.

Arcan remua furieusement dans la main de Junior. Le jeune homme compris que le mot « attraper » signifiait tout bonnement « tuer » ou « massacrer ».

Le bateau s’éloigna. Thomas ne se trompa pas sur la détermination qu’il lisait sur le visage de Junior.

_ Tu ne vas quand même pas aller dans l’eau ! J’ai failli y passer !

Junior lâcha Arcan et se leva en retirant son tee-shirt.

_ C’est à cause de moi. Ces requins voulaient me rencontrer. Peut-être même voulaient-ils me dévorer. En tout cas, c’est après moi qu’ils en ont à la base. Drake le sait et cherche certainement à m’éviter les ennuis. Il va vouloir tout faire pour éloigner les requins de la côte et…

Il regarda son cousin avec une indifférence faciale que Thomas ne lui connaissait pas.

_ Je dois l’aider, conclut-il.

_ Drake, c’est le type que j’ai vu là-bas, pas vrai ? Avec ses oreilles bizarres ?

Junior glissa dans l’eau en ignorant son vis-à-vis.

_ Junior !

L’interpellé s’arrêta sans se retourner.

_ Si tu y vas, je vais prévenir tout le monde. Ton copain semi-poisson sera pêché !

_ Cétacé, prononça Junior.

_ Quoi ?

Thomas fronça les sourcils.

_ Les dauphins sont des cétacés, pas des poissons.

Et Junior plongea sans hésitation, sans remords, accompagné d’un petit Chirurgien Jaune qui guettait les moindres ombres.

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