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Le blog de Riku

Créations Diverses

Chapitre 6

 

Les Ames de l'Ocean, le déchainement des Profondeurs

 

 

CHAPITRE 6

 

_ Drake !

Junior appelait ouvertement le même nom depuis un quart d’heure en arpentant la plage baignée de soleil. Quelques baigneurs matinaux bronzaient déjà sur leur serviette de bain et grognaient face au bruit qu’il faisait. Il mettait à rude épreuve la tranquillité que la dizaine de personnes était venue chercher très tôt.

Un bruit d’éclaboussures l’interpella et il fixa la queue de dauphin qui claquait la surface de l’eau plusieurs fois de suite.

_ Drake !

Tout habillé, Junior pénétra dans l’eau et plongea. Derrière lui, un homme se dressa sur sa serviette pour rouspéter dans le vide.

Les yeux irrités par le sel, la vue floue, Junior battait frénétiquement des jambes pour rejoindre au plus vite les bas-fonds. Lorsqu’il remarqua le début de la pente sablonneuse menant aux eaux sombres, il remonta à la surface pour prendre une profonde goulée d’air.

Drake sortit la tête de l’eau devant lui, l’air toujours indifférent, et usa d’une voix railleuse :

_ Pourquoi tu m’appelles depuis tout à l’heure, bon sang ?

Le souffle court, Junior fixa l’hybride dans les yeux durant un long moment. Quand il put à nouveau parler, il écarquilla les yeux et détourna la tête en fronçant les sourcils.

_ Je… ne sais pas.

Un tout petit museau apparut entre les ondulations de l’eau, qui semblaient bien énormes de part et d’autre de la minuscule protubérance jaune. Drake leva l’une de ses oreilles, poussa un soupir et plongea sous les flots.

Intrigué, Junior remplit ses poumons d’air et descendit à son tour sous la surface. Drake communiquait avec un poisson Chirurgien Jaune par de petits cliquètements de gorge. Rien ne laissait supposer que la conversation soit importante, Junior n’y comprenant rien, et pourtant. Bientôt, Drake poussa un long sifflement assourdissant et attrapa le poisson entre ses mains d’une façon meurtrière.

_ Arcan, prononça-t-il très distinctement en décrochant chaque syllabe, t’as intérêt à aller lui dire que c’est hors de question.

Le Chirurgien Jaune se débattit avec hargne jusqu’à être libéré, lâcha un minuscule tourbillon de bulles et partit en direction des plus sinistres bas-fonds. Junior en profita pour remonter à la surface pour respirer, regrettant de ne pas pouvoir rester sous l’eau. 

Tout était intriguant et contrariant. Que ce passait-il donc ? Drake allait-il lui en parler ? Il en doutait, puisqu’ils n’avaient aucune affinité particulière. Pourtant, Junior voulait à tout prix connaître la vérité, quitte à s’asphyxier sous l’eau.

L’hybride apparut face à lui en grommelant des mots incompréhensibles. Il finit par regarder Junior pour déclarer avec hargne :

_ J’ai des problèmes à cause de toi, maintenant.

_ Hein ?

Junior nageait sur place en s’aidant de ses membres, mais cela ne l’empêcha pas d’être abasourdi par la dureté et la franchise de Drake.

_ Pourquoi à cause de moi ?

L’hybride se passa une main dans les cheveux en évitant son oreille membraneuse.

_ Certaines baleines à bosses refusent de reprendre la migration –grosses bêtes geignardes- et le groupe de Grands Blancs ne veut pas quitter la côte.

Junior plissa le nez.

_ D’où ça me concerne ?

Drake garda le silence durant une longue minute, observant de loin les gens qui s’agglutinaient déjà sur la plage, puis poussa un long soupir.

_ Ils veulent tous te rencontrer.

Une évidence que le jeune humain ne s’imaginait même pas, même à travers les yeux translucides de Drake.

_ Les baleines sont d’affreuses curieuses et aimeraient bien connaître l’humain qu’elles ont aidé. Quant aux requins… (Il garda un silence affligeant quelques secondes avant de finir d’un ton dédaigneux : ), je pense qu’ils voudraient simplement finir ce qu’ils ont commencé.

Junior serra la mâchoire lorsqu’un frisson d’horreur lui parcourut l’échine. D’un geste brusque du bas, il claqua la surface de la mer en s’écriant :

_ Arrêtes de te foutre de moi, Drake !

Drake haussa les épaules et disparut sous l’eau sans rien ajouter. Junior, lui, fixa le sombre bleu qui s’étalait autour de lui. Les battements de son cœur s’accélérèrent ; son cerveau lui envoyait des signaux de détresse.

Derrière chaque vague peut se cacher un aileron.

Cette pensée chassa tout le reste de son esprit et il commença à trembler de froid. La peur s’insinuait dans ses muscles et il dut faire un effort surhumain pour reprendre sa nage vers la côte.

 

Drake observa Junior s’éloigner à la surface. Les remous que causait l’humain l’exaspéraient un peu mais il y avait plus urgent à faire que de garder un œil sur cet imbécile. Il vira de trajectoire en orientant sa nageoire caudale sur le côté puis fit demi-tour pour partir vers les eaux les plus sombres. Arcan et ses petites nageoires ne devaient pas être bien loin et il tâcherait de rattraper le poisson afin de passer lui-même le message qu’il voulait transmettre.

Hors de question, qu’il disait. Connaissant le Chef, Drake ne passerait de toute façon pas à côté.

Il arrêta sa nage au-dessus d’un profond ravin et orienta ses oreilles membraneuses sur les côtés afin de déceler tous les sons environnants : les baleines à bosses sifflaient leur mécontentement vers l’ouest. Au moins, il ne pouvait pas reprocher aux requins de faire un bruit pareil. En dessous de lui, quelque part au plus profond des ombres du gouffre, il entendit un clic. Puis un second. Et encore un.

Clic.

Clic.

Clic.

Tous espacés de dix secondes exactement. Puis le son s’éloigna.

Drake continua sa route en se renfrognant, pas très rassuré par ce qu’il venait d’entendre. De jour en jour, les sons provenant du ravin se faisaient plus proches.

IL se rapprochait.

 

Des rires cyniques et des éclats de voix attirèrent Sylvain à l’entrée d’une petite impasse coincée entre deux maisons. Le sol y était jonché de débris –il crut y discerner une seringue usagée- et la mauvaise herbe brunissait par endroit.

Mains dans les poches de sa veste en faux cuir, il s’arrêta devant l’obscurité et jaugea les quatre adolescents accroupis en demi-cercle. Le plus jeune, sans doute de dix ans, usait de gestes mécaniques d’avant en arrière de son bras droit, ricanant avec démence.

_ Tiens le bien.

Sylvain crut entendre un petit cri plaintif. Le son se confirma une seconde fois alors que l’un des garçons souleva un chaton chétif d’une main triomphante.

_ Il pourra chier plus facile avec tous ces trous en plus.

Les autres glapirent sous la plaisanterie.

Le petit animal avait les poils irisés, le corps tout tremblant, et du sang s’échappait en fines lignes brillantes à plusieurs endroits le long des côtes. Il ne devait pas avoir plus de deux mois. Mais qu’importait l’âge : cette barbarie devait cesser au plus vite !

Sylvain s’avança d’un pas en indiquant sa présence d’un « hey » soutenu. Les adolescents levèrent les yeux sur lui et, dans un silence, le petit chat sans défense émit un léger miaulement aigu et souffrant.

Les deux garçons plus âgés se dressèrent sur leurs jambes et approchèrent de l’intrus.

_ Qu’est-ce que tu nous veux, abruti ?

L’adrénaline parcourait les veines de Sylvain, assez pour qu’il ne sente pas son cœur s’accélérer. Il sortit les mains de ses poches, prêt à envoyer quelques coups bien placés.

Hors, la bande ne chercha pas à discuter ou à menacer Sylvain. Par de simples coups d’œil entendus, ils passèrent à côté de lui et s’en allèrent.

Sans tarder, Sylvain s’approcha du chaton blessé, ignorant au passage l’aiguille qui avait servi à le torturer. Le félin tenta de se lever mais retomba lourdement sur le côté. Il avait les yeux exorbités par la frayeur et la douleur. Le jeune homme s’accroupit, le prit délicatement entre ses mains.

Les griffes du chaton pénétrèrent la matière caoutchouteuse de sa veste. Le petit cœur battait dans un rythme effréné, sans coordination. Le sang suintait sur le pelage sombre strié de noir.

Ce que remarqua surtout Sylvain était l’arrière-train du petit être ; ses pattes si fragiles se trainaient, cherchait à trouver un support sans parvenir à s’y poser, comme s’il ne ressentait aucune sensation physique.

Une affreuse condamnation de la nature.

Une évidence sauta pourtant aux yeux de Sylvain : l’être humain pouvait passer au-delà des lois de la nature, la défier dans ce genre de circonstances.

Car il en avait l’initiative.

D’autres auraient tout simplement tué ce chaton sans chercher à le faire vivre.

Il cacha le corps fragile et sale du chaton sous sa veste, tachant son tee-shirt de sang, et orienta ses pas vers l’arrêt de bus.

Durant le trajet qui l’emmenait en ville, il repassait ses souvenirs en mémoire à la manière d’une cassette vidéo que l’on rembobine. Fut un temps où, sans pitié, son père avait noyé un chaton semblable au fond d’une glacière, prétextant que l’animal n’aurait pas survécu.

Des conneries.

Il devait avoir cinq ou six ans et se rappelait encore parfaitement les clapotis de l’eau et les miaulements brutaux sous le couvercle…

Une douleur de dégoût lui souleva l’estomac et il resserra une prise protectrice autour du petit chaton endormi contre lui. Cet épisode du passé était un traumatisme –et une révélation que certains humains se prenaient pour Dieu (quoiqu’il ne croyait pas à ces divinités), choisissant la vie ou la mort des animaux comme bon leur semble. Ce poids sur les épaules lui permettait de sentir de l’admiration et du respect pour les animaux.

Et il se sentait alors fier d’être végétarien.

Il leva les yeux vers le plafonnier du bus, le longea du regard pour observer les gens assis devant lui. Son plus récent et respectable souvenir –avant aujourd’hui- datait de la veille. Sa mémoire inscrivit nettement l’image d’une jeune fille avec une queue de dauphin en guise de jambes. Il se souvient ne pas avoir été surpris par cette créature, ce qui avait sûrement permis à l’hybride de rester auprès de lui au bord de l’eau. Elle n’avait pas émis la moindre parole, pas une seule réponse.

Là, assis sur le siège grinçant de l’autocar, Sylvain caressa du pouce le pelage de son protégé en comprenant que le silence qui s’était éternisé entre la femme-dauphin et lui était le même que celui qu’il avait avec les animaux qui croisaient son chemin : un déterminant respect et une compréhension des plus infimes douleurs émotionnelles.

 

Drake plongea à un angle de quatre-vingt-dix degrés pour rejoindre la roche en forme d’arche marquant le début du territoire familial. A côté de lui nageait anxieusement Arcan, petit Chirurgien Jaune qui, en cet instant, laissa échapper des bulles de colère de son museau. Ses branchies ne cessaient de battre la mesure de cette hargne qui démangeait son petit corps.

A l’entrée du Dôme, Drake envoya un regard glacial à son compagnon.

_ Surtout, tu ne dis rien.

Le Chirurgien Jaune cracha des bulles. L’hybride passa sous la roche creusée, ignora les étoiles de mer et les oursins qui l’interpellaient. Il avança entre diverses colonies de poissons, évita soigneusement la raie –celle-ci était toujours sur les nerfs- cachée sous le sable.

Le paysage se déroulait devant lui. La puissance de la lumière du jour se reflétait sur cet environnement enchanteur. Les rochers prenaient des formes plus prononcées, plus distinctes. Sans suivit des marches d’escaliers gigantesques, des entrées rectangulaires dans la pierre, des piliers de marbre, des bâtiments plats d’une grandeur exceptionnellement spectaculaire. Certainement les plus anciennes ruines que la Terre ait jamais portées. Un monde à part, des vestiges engloutis lors des plus impressionnantes fontes de glace des milliers d’années plus tôt. Le terrain déployé ici pouvait accueillir une demi-douzaine de baleines bleues et permettrait encore d’y faire jouer une famille de dauphins.

Qui pouvait savoir ce que l’Océan pouvait encore cacher ?

Pour le moment, un petit groupe de baleines à bosses –ainsi qu’un baleineau- circulaient dans les parages en répétant sans cesse dans des sifflements stridents et directs « nous souhaitons voir l’humain ».

_ Drake !

L’interpellé grogna sans arrêter sa course. Un hybride le rejoignit et continua la route avec lui. Du même âge, le nouvel arrivant n’en était pas moins différent : bien plus costaud, plus mât de peau, de longs cheveux noirs et blancs. Le signe le plus particulier était sa queue d’épaulard, bien plus imposante que celle du Tursiops Truncatus. Dans deux années environs, il ferait le double de son poids et de sa taille actuelle. Autant dire que ce garçon-orque, O’Da, était plutôt égocentrique.

Sauf en cet instant.

_ Drake, où étais-tu passé ? Tu n’imagines pas la galère dans laquelle tu es !

_ Laisses moi deviner, ironisa Drake. Je suis au bord de l’Exil ?

L’Exil était une étape ultime pour ceux qui ne respectaient pas les lois. Un cauchemar dont personne ne connaissait la destination, sauf ceux qui s’y trouvaient déjà. Hors, ils ne revenaient jamais.

Lorsqu’une épave-navette de Piraterie passait par là, les rebelles y étaient engloutis et on ne les retrouvait jamais ; ce n’était pourtant pas faute d’avoir essayé ! Une vieille légende disait qu’un jeune sirénien avait parcouru toutes les eaux du Globe pour retrouver son frère exilé et qu’il était revenu bredouille dans son village bien des années plus tard, le torse maigre, la queue horriblement ridée et les orbites creusées de fatigue.

_ Cela ne te fait pas peur ?

Drake claqua sa langue contre son palais puis soupira.

_ Pourquoi avoir peur de l’inconnu ?

O’Da déglutit en silence et préféra ne rien ajouter. Ensemble, ils passèrent sous une énorme entrée du bâtiment le plus haut. A l’intérieur, il faisait un peu plus sombre. Ils croisèrent quelques anguilles et quelques raies qui ondulèrent respectueusement, puis ils pénétrèrent enfin une large pièce où les débris couverts de coquillages et le sable dévoilaient les souvenirs d’un Peuple à jamais décimé. Au fond se dressait un vieux fauteuil au tissu usé par le sel et à la peinture or bientôt entièrement écaillée où se tenait fièrement un homme à la longue barbe noire, la nageoire caudale musculeuse d’un Globicéphale Noir orientée de côté afin de ne pas trahir la colonne vertébrale.

De longs cheveux noirs ondulaient dans le dos du Chef, les yeux noirs aussi perçants que ceux d’un aigle braqués sur Drake. Il dressa ses oreilles membraneuses et leva une main palmée avec froideur.

_ Te voilà enfin, Drake.

Drake s’arrêta à quelques mètres du quinquagénaire cependant qu’O’Da resta en retrait derrière lui.

_ Que se passe-t-il exactement ? Questionna le jeune hybride.

_ Je pense qu’Arcan te l’a dit.

Le poisson souffla des bulles vers Drake comme s’il lui tirait la langue d’un geste enfantin pour rejoindre ensuite le Chef lui qui gratifia les écailles d’une petite caresse. Drake se retint de justesse d’attraper ce petit morveux pour le mordre à pleine dent.

Le Chef reprit la parole :

_ Tu as défié nos lois les plus anciennes en aidant un humain. Tu as appelé des baleines à la rescousse et, en prime, tu as empêché des requins de chasser ! J’ai même ouïe dire que tu avais sympathisé avec le bipède, Drake.

Drake jeta un regard noir à Arcan qui lui montra sa queue de poisson avec dédain. Puis l’hybride leva une main de protestation pour se défendre.

_ D’une part, ces requins n’ont rien à faire ici. Vieux comme ils sont, ils devraient être près des îles australiennes en ce moment plutôt qu’à nos côtes. D’autre part, l’humain en question est affreusement collant. Aurais-je voulu le noyer qu’il trouverait encore un moyen de me coller à la nageoire !

Le Chef secoua la tête d’exaspération et étendit un sifflement autour de lui. Répondirent alors les baleines à bosses, certainement regroupées au-dessus du plafond en ruines.

_ Nous n’avons pas d’autre choix que de leur faire voir l’humain. Têtues comme elles sont, leur migration ne reprendra pas avant que leur souhait soit exaucé. Quant aux requins…

Le silence se fit, la tension devenant palpable. Les Grands-Blancs solitaires, réunis pour la chasse à cause de leur vieillesse, étaient dangereux et extrêmement irritables. La moindre contradiction, la moindre contrariété, et ils plongeaient le museau en premier jusqu’à être satisfaits.

_ L’humain devra aussi être montré aux requins, reprit le Chef. Quitte à ce qu’ils le dévorent enfin. Autant te dire, Drake, que tu as du boulot.

 

Junior fixa Thomas dans les yeux et cracha avec toute la détermination dont il pouvait faire preuve :

_ Je ne veux plus te voir.

Thomas sursauta de surprise et attrapa son cousin par les épaules.

_ Qu’est-ce qui se passe ? Ai-je fait quelque chose de mal ?

Les yeux de Junior se remplissaient déjà de larmes de remords. Il aurait voulu ne jamais aimer son cousin. Ne jamais avoir de cœur. Mais plus le temps passait, plus la souffrance prenait le pas sur les sentiments qu’il avait pour Thomas. Même la haine s’insinuait dans ses veines et il voulait y mettre un terme.

La frontière entre l’amour et la haine est très mince.

_ Je ne te crois plus, Thom’, articula-t-il.

Sur ces mots, il fit rapidement demi-tour et claqua la porte d’entrée derrière lui. Il aurait préféré rejoindre la mer.

Voir Drake.

Mais Thomas l’aurait suivit hargneusement.

Dire que, la veille, ils étaient encore si proches ! Thomas avait enfin avoué que Junior était plus important que n’importe qui d’autre ! Et maintenant, Junior pleurait avidement dans son oreiller, la lumière de sa chambre éteinte.

Thomas, lui, serrait les poings de toutes ses forces, laissant ses jointures devenir blanches, ses semelles clouées sur le trottoir, le regard ouvertement noir de rage.

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